Institut Ramon LLull

Entretien avec les directrices du Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi

paperllull.  FRANCE, 10/10/2020




Nous nous entretenons avec les directrices du Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi, une salle de spectacles de trois cents places située à six kilomètres de Paris. Depuis dix ans, le binôme Cécile Le Vaguerèse-Marie et Vanessa Mestre dirige cet espace en tant que directrice et directrice adjointe. Le regard toujours posé sur la scène internationale, elles ont programmé cette saison deux compagnies catalanes : Lali Ayguadé avec Underneath et Agnès Mateus et Quim Tarrida avec Rebota rebota y en tu cara explota. Nous parlons avec elles de la situation actuelle et de leur vision de la scène catalane.

 

Comment voyez-vous cette saison, en ces temps de Covid ?

 

Cécile : Nous la voyons compliquée. La région Île-de-France est en « zone rouge », c’est une région très peuplée. Les gens sortent moins en général, par peur. Et un effet de cette peur est de perdre l’habitude d’aller au théâtre. Nous n’avions plus de public depuis le mois de mars. L’affluence n’est pas la même et, de plus, même si nous avons partagé la salle, nous devons laisser une place libre entre deux personnes – ou groupes de personnes – pour respecter la distance physique.

 

Vanessa : Le protocole nous a obligés à réduire la capacité à 70 %. Pour nous préparer à cette rentrée difficile en septembre, nous avons programmé tous les jeudis avec un public de 50 personnes maximum. Nous garantissons toutes les mesures sanitaires (masque, distance...) et comme ça, le spectateur renouvelle peu à peu l’expérience, il se sent en sécurité et revient.

 

C : C’est une situation fragile, et l’annulation de spectacles étrangers nous pénalise aussi. Nous avons eu deux annulations, en provenance de Palestine et du Cambodge. C’est un moment complexe et nouveau pour tout le monde mais nous devons nous y adapter car cela va durer des mois, voire des années. Nous devons travailler d’une manière différente, anticiper en prévoyant la situation à trois mois.

 

V : Cela suppose une difficulté supplémentaire, car le projet artistique est très lié à la diversité linguistique et donc, à l’accueil international. Lors du confinement, nous avons dû annuler les trois-quarts de la programmation que nous avions prévue. Nous avons pu conserver celle des pays les plus proches mais bon, la situation peut basculer d’un jour à l’autre.

 

C : On tremble !

 

Pourquoi avez-vous programmé Lali Ayguadé avec le spectacle de danse Underneath ?

 

V : Elle est très intéressante car elle crée des productions « tout-terrain » qui s’adressent à tout le monde et son interprétation est exceptionnelle. Je l’ai connue par La Veronal et j’ai tout de suite été séduite par sa présence, sa capacité technique… Depuis, j’ai suivi son parcours. Underneath dure 17 minutes et c’est un plaisir de danse, aussi pur que simple.

 

C : Elle interprète avec le cœur. Elle est magnifique.

V : Elle fait un duo avec Lisard Tranis, qui est aussi incroyable.

 

Et qu’avez-vous aimez de Rebota rebota y en tu cara explota d’Agnès Mateus et Quim Tarrida?

 

C : J’ai aimé comment elle traite la figure des femmes et sa présence sur la scène. Elle a beaucoup de personnalité ! De plus, elle parle très bien le français. Une de nos spécialités, c’est que nous travaillons à la traduction et, surtout, l’adaptation de la traduction pour la France. En traduisant, on perd parfois de petites connotations, des clins d’œil… Dans ce cas, le texte était déjà traduit mais nous l’avons refait avec elle et Quim Tarrida pour être très soigneux dans l’adaptation. On rit bien plus si les références sont locales (par exemple, dire « Brigitte » au lieu du nom original, puisque c’est l’épouse du président Macron) et si les gros mots viennent spontanément en catalan ou en espagnol.

 

V : En outre, de nombreux programmateurs étaient intéressés à programmer le spectacle en français et sous-titré. Derrière l’adaptation, il y a donc la volonté d’aider le montage dans sa tournée et à s’internationaliser.

 

C : Ce que nous aimons aussi, c’est que le spectacle parle de choses très graves, par exemple les violences conjugales qui causent la mort d’une femme toutes les dix minutes en France. Mais même si c’est un sujet dur, elle sait rire de tout et, en même temps, transmettre le message.

 

Comment avez-vous découvert les propositions ?

 

V : Il y a deux ou trois ans, nous avons fait une « tournée chorégraphique » à Barcelone autour de la danse et du langage du corps. Nous avons alors connu presque toutes les compagnies de danse, les salles alternatives, le festival Sismògraf d’Olot... entre autres. Cela nous a donné une vision très riche et positive et nous avons constaté la vitalité et le haut niveau des danseurs et chorégraphes du territoire. On ne voit pas cette créativité partout.

 

C : La tournée était organisée par un organisme qui dépend du ministère de la Culture français, l’ONDA (Office national de diffusion artistique). C’est un groupe basé à Paris qui organise des voyages qui réunissent des directeurs et directrices de théâtres. Nous parlons de tout ce qui est diffusé en France mais aussi en Europe et à l’échelle internationale et les voyages peuvent se faire en Europe mais aussi à des endroits plus éloignés comme l’Asie. C’est formidable pour nous parce que nous sommes 10-15 personnes qui voyageons pendant quatre jours et rencontrons le plus grand nombre possible d’agents culturels d’un territoire.

 

V : Tout ceci est aussi organisé en collaboration avec l’Institut Ramon Llull.

 

Quels artistes catalans avez-vous accueillis lors de saisons précédentes ?

 

C/V : Dans ces dix dernières années, Roger Bernat avec Pendiente de Voto, Tian Gombau-Teatre de l’Home Dibuixat avec Pedra a pedra, Didier Ruiz/La Compagnie des Hommes avec Trans (mes enllà) – que nous avons coproduit – et Collectif Terrón amb Le roi des sables sont passés par cette salle, entre autres.

 

Qu’est-ce qui vous intéresse de la création catalane ?

 

C : Nous ne regardons pas un pays mais une proposition artistique qui nous intéresse. Nous sommes très attentives à tout ce qui se passe en Europe : Bruxelles, Lisbonne, Barcelone, Madrid, Londres... Nous n’avons pas de vision spécifique de la Catalogne mais nous avons la chance de pouvoir compter sur la collaboration de l’Institut français de chaque capitale et celui

de Barcelone repère des artistes parallèlement aux spectacles que nous voyons, nous, un peu partout. C’est quelque chose qui nous intéresse énormément parce que, en parlant en termes commerciaux, c’est lié à l’importation et l’exportation. Notre théâtre englobe la région parisienne, où il y a de la population venue du monde entier, et cela nous permet d’avoir un public différent de celui d’une autre ville française. Nous somme au cœur de la diversité et quand, par exemple, nous faisons un spectacle avec un chorégraphe du Congo, beaucoup de gens proches de l’Afrique viennent. C’est un respect pour la population locale et, à la fois, cela attire un public nouveau.

 

V : Bien que nous n’ayons pas l’obligation de programmer des spectacles de la scène catalane toutes les saisons – nous avons plus ou moins une compagnie tous les deux ans –, nous la suivons le plus possible. Nous faisons un véritable travail de partenariat avec l’Institut Ramon Llull pour la découvrir de plus en plus, comme par exemple les capsules « Théâtre en 3 minutes : à 2 mètres » que l’on peut voir sur le Net ou quand nous avons été invitées à FiraTàrrega où, même s’il s’agit plutôt d’arts de la rue que nous ne programmons pas, j’ai vu des pièces qui pourraient être jouées dans une salle.

 

Comme évaluez-vous l’état de santé de la scène catalane ?

 

V : D’après ce que j’ai pu voir lors de mes déplacements en Catalogne, il y a une grande richesse de propositions mais il manque des moyens. Le statut de l’artiste n’est pas reconnu et les artistes ne peuvent pas vivre de leur art. Cela les oblige à exercer d’autres emplois et, forcément, cela va au détriment de la formation, du temps qu’ils pourraient consacrer à la création, du financement… J’ai le sentiment que le geste artistique n’est pas accompagné. Le geste, le talent, l’inspiration, etc. sont là mais il n’y a pas les moyens

 

C : C’est une question politique. Un pari. Il faudrait suivre l’exemple de la France pour que les artistes aient du temps pour la réflexion et la création. Aujourd’hui, en Europe, la place qu’occupe l’artiste est une véritable question. Son rôle est-il de nous amuser ou de nous émanciper ? Ou les deux choses, comme nous le pensons nous, et le spectacle d’Agnès et Quim en est un bon exemple. Actuellement, la création contemporaine est mal employée en faveur du grand public, elle est populiste et il est beaucoup plus difficile de défendre une performance que le travail fruit d’une grande machine de production.

 

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